Cette semaine, du rock 100% Gasy qui envoie la sauce sur les murs. En apnée au milieu du désespoir générationnel malgache, Dizzy Brains saute, sursaute et s'écrase au sol. Symbole d'une société fragmentée, ravagée par la pauvreté et les inégalités qui ont été minutieusement institutionnalisées et structurées par une élite droguée au pouvoir [1], soutenue par plus de trois décennies d'application de plans d'ajustement structurel (mis en place très tôt [2]) suivis de stratégies de développement conditionnées, tout ça sur fond de répressions sanglantes des mouvements d'"opposition" (les guillemets sont de rigueur) et de pillages des ressources malgré (ou en raison de ?) l'instabilité politique du pays [3]. Je vous avais dit en apnée, putain ! Si nous l'avions un peu oublié (et je sais que c'est ton cas), ils nous montrent une nouvelle fois qu'il n'existe pas de centres sans périphéries dans ce monde, les relations d’exploitation et de dépendance restent à l'origine de la thermodynamique des peuples. C'est une ritournelle à Madagascar, les crises de toute nature se succèdent et suivent la recomposition des institutions formant les spécificités du modèle capitaliste au sein de cette "marge", "en développement" diront les cyniques. Forme "sauvage" du capitalisme ? Peut-être. Déstructurée et anhistorique ? Surement pas [4].
Un exemple ? Vangy. Dans ce morceau, les quatre gars parcourent leur quartier dans le quotidien de toute une génération malgache sacrifiée, peut-être plus encore que les autres. D'un côté, le marteau s'écroulant sous le poids du nombre. La survie dans le secteur informel (les clopes à l'unité, le téléphone à la minute...), les emplois de merde, informels eux aussi, charriant leurs salaires de misère [5], la peur de mourir, l'anxiété du lendemain, l'affaiblissement des solidarités organiques (forcées ?) au sein d'une structure sociale rurale muées en méfiance et en anomie relationnelle recroquevillée autour d'un îlot familial sous l'effet de l'urbanisation [6]. De l'autre, l'enclume. La frustration de ces jeunes qui font des rêves de mieux, des rêves d'ailleurs, avec de la colle ou du tuyau d'échappement sniffés pour quitter cette image figée, comme suspendue [7]. Mais Dizzy Brains est aussi une plongée dans l'universalité du genre en invoquant cette réponse punk à l'injonction violente des années 80, "there is no alternative" (TINA). Ce rock garage est salutaire, pour eux évidement. Mais pour nous aussi très certainement. Ils nous rappellent que partout où s'imposera le TINA, peu importe sa forme, le punk fera irruption, et viendra vomir sur des bouclars de flics équipés de grenades et de tasers. Il y a une alternative, et elle est d'abord (et surtout ?) musicale. Comment une génération pourrait-elle décider de mourir ou non, si ce n'est en musique ? Dizzy Brains est ce g de c dont la jeunesse européenne, déjà vieillissante, aurait bien besoin (je m'adresse à toi mon voisin du dessus, ou toi ma voisine du dessous qui écoute du Sardou à fond pour tes 23 ans, sous le prétexte que les goûts de tes parents seront forcement les tiens. Putain, l'angoisse face à cette Z generation bientôt dominante). L'année dernière ils ont enflammé la scène des Trans Musicales, qui restait bien triste jusque là. Ils promettent de revenir cette année avec des trucs à l'acide Gasy car la situation de la jeunesse malgache ne semble pas s'être éclaircie, loin s'en faut. A suivre donc. Sound of Economics Page officielle de Dizzy Brains [1] Razafindrakoto M, Roubaud F, Wachsberger J. M. (2015). L'île mystérieuse : une approche d'économie politique de la trajectoire longue de Madagascar. Canadian Journal of Development Studies/Revue Canadienne d'Etudes du Développement, 36 (3): 397-415 [2] Duruflé G. (1988). L'ajustement structurel en Afrique: Sénégal, Côte d'Ivoire, Madagascar, Karthala Editions, 205 p [3] Sersiron N. (2017). Dette illégitime et pillages extractivistes, Tananarive [4] Hugon P. (2005). La stagnation de l'économie malgache : le rôle des crises et des facteurs sociopolitiques en longue période. Revue Internationale et Stratégique, 60 (4): 19-32 [5] Nordman C J, Rakotomanana F, Roubaud F. (2016). Informal versus Formal: A Panel Data Analysis of Earnings Gaps in Madagascar. World Development, 86: 1-17 [6] Fournet-Guérin C. (2006). Vivre le quartier à Tananarive. De la remise en cause d’un mythe urbain universel. Espace et Société, 126 (3): 69-86 [7] Wachsberger J. M. (2009). Les quartiers pauvres à Antananarivo : trappe à pauvreté ou support des individus ? Autrepart, 51 (3): 117-137
0 Comments
|
Sound of Economics
Tu trouveras ici une description des sons et des conditions socio-économiques, historiques et politiques qui les ont vu émerger, tout ça accompagné de références (scientifiques, si j'osais) ! Mais ce blog prend sa source dans une idée pêchée chez Tery Guilliam (venant vraisemblablement de Thompson) : lorsque maître Gonzo dit à Raoul Duke "je te savais dégueulasse, mais alors à un tel point, j'aurais jamais cru que tu aurais des idées aussi louf, enfoiré de merde", le docteur en journalisme ne se laisse pas démonter et lui répond avec aplomb : "c'est de la science économique". Et si c'était simplement de la musique, rien que de la musique ? Categories |